Guardamunt
de Vaslav Nijinsky
création novembre 2006
/ Durée : 1h20
Ce qui distingue la poésie de la parole machinale, c'est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. Ce dernier se révèle alors à nous d'une étendue bien plus vaste que nous ne l'imaginions, et nous nous souvenons soudain que parler veut dire : se trouver toujours en chemin.
Ossip Mandelstam - Entretien sur Dante

Guardamunt est un cycle de pièces autour du journal de Vaslav Nijinski proposant différentes formes, différentes déclinaisons du repli du danseur étoile dans la villa Guardamunt où il s’est consacré à l’écriture – peu de temps avant son internement. Commencé en 2006, ce cycle a connu 4 versions. La première, la plus théâtrale, recoupait certains extraits des promenades du danseur dans les montagnes autour de la villa, des poèmes et des considérations sur les étoiles et sur les hommes. Une deuxième déclinaison de 76' était une reconfiguration de l'espace scénique autour des mêmes fragments. Les liens étroits qui se lièrent entre la musique et cette parole, entrainèrent le travail vers une forme duo pour saxophone et voix de 34', à partir des premières pages du poème Au hommes. Pour chacune de ces déclinaisons, il y a la présence silencieuse et anonyme d'un homme.

Je courais et trébuchais, / Tout en sang, me fracassais / Au rocher, me relevais, / Priais encore, encor courais. / Et soudain un vent froid s’est levé. / Les lueurs au loin rougissaient./ Armé d’une masse d’airain, / Quelqu’un édifiait un autel. (Alexander Blok)
Présentation

Le 19 janvier 1919, Vaslav Nijinski, l'étoile des ballets russes, danse une dernière fois dans la salle de bal d'un grand hôtel de Saint Moritz en Suisse. Il a 29 ans. L'interprète et chorégraphe, entre autres du révolutionnaire poème symphonique L'Après-midi d'un faune de Debussy et Mallarmé, improvise. Les spectateurs, au lieu d'un divertissement, assistent stupéfiés à une danse-transe évoquant les horreurs de la guerre qui vient de dévaster l'Europe. Le soir même, rentrant chez lui à la villa « Guardamunt », il commence la rédaction d'une sorte de journal sur de petits cahiers de moleskine. Il rapporte là des poèmes, le récit de promenades dans les montagnes qui l'entourent, le vertige mystique qui s'empare de lui, des souvenirs, sa vie avec sa jeune famille. Pêle-mêle. Quelques semaines plus tard, il est interné. Jamais plus il ne dansera, n'écrira et il ne parlera qu’à de rares occasions. Ainsi il continua à vivre. Jusqu’à sa mort à Londres en 1950, où il s’éteint âgé de soixante ans.

Je veux décrire mes promenades. Mes promenades étaient à pied. J'aimais me promener seul. Je veux seul seul. Tu es seul et je suis seul. Nous sommes seuls et vous êtes seuls.

Dans ses "Cahiers", Vaslav Nijinski  rapporte là des poèmes, le récit de promenades dans les montagnes qui l'entourent, le vertige mystique qui s'empare de lui, des souvenirs, sa vie avec sa jeune famille. Pêle-mêle. Cercles, cycles, promenades... Ces Cahiers, plus qu'un journal, nous sont un poème. Nijinski décrit ses promenades. Et le récit du voyage est lui-même voyage à travers la langue. Après avoir écrit la danse, avoir inventé un système de notation chorégraphique, Nijinski s'écrit, d'une écriture blasphématoire, érotique, scatologique, créatrice de « Chaosmos : Entre la nuit et le jour, entre ce qui est construit et ce qui pousse naturellement, entre les mutations de l'inorganique à l'organique, de la plante à l'animal, de l'animal à l'espèce humaine, sans que cette série soit une progression... » (Deleuze)


Comme la créature de Pygmalion, l'interprète meurt sans descendance s'il ne trouve un moyen de fixer l'art de la scène. Et c'est sans doute ce qui a de soi-même conduit Nijinski vers l'écriture. D'abord pour transcrire ses chorégraphies, puis de là vers une autre manière de transmettre et de transporter le mouvement dans le temps : l'écriture elle-même, en tant qu'elle est rythme, vibration, suspens. Nijinski voulait qu'on photographie ses écrits, sans doute parce qu'il donnait beaucoup d'importance à l'espace dans la page – aux vides et aux pleins, tel un poète ou un peintre. Ce parler en silence qu'est l'écriture, cette partition intérieure, il en avait parfaitement et instinctivement conscience. Rien de fou là-dedans. Ni même cette scission du moi dans l'écriture, dont il a le sentiment, et que décrit, plus tard, Maurice Blanchot ou qui parcourt toute la poésie de Paul Celan.

Cette parole des Cahiers est le chemin sur lequel nous avancerons. Elle passe par le babil d'enfant, le hennissement de cheval, la prophétie. Elle nous conduit vers de nouveaux rapports à inventer entre les sens et la pensée, entre le geste et la parole. Elle ébranle la syntaxe, invente des cartes (celle des récits de promenades dans la montagne) qui désorientent nos sens et nos sentiments tous faits. Elle retrouve le lien avec des forces anciennes, d'avant la raison. Elle nous éloigne de ce que nous croyons savoir et nous ramène à nous-mêmes. Elle frôle le dictat, descend jusque dans la peur et le désespoir, remonte à pic, là où les distinctions établies entre le Dehors et le Dedans sont renversées, là où les frontières entre le monde réel et onirique sont effacées. Elle échappe à la communication qui finit par pourrir le langage ; s'avance vers un absolu qui manque, et laisse place à un abîme de silence.


J'irai maintenant... 

J'attends... 

Je ne veux pas... 


C'est par ce souffle coupé que s'achève les Cahiers. Et c'est dans cette césure du souffle, que nous chercherons à creuser un réseau de galerie entre des éléments hétérogènes (de textes, de gestes, d'images) à la faveur d'une rencontre, d'un toi à qui parler. Le poème scénique que nous souhaitons créer à partir des Cahiers, ce ne serait pas, par le truchement du théâtre, prendre la parole à la place, ni même faire revivre artificiellement une marionnette aux expressions du grand artiste que fut Nijinski. Il s'agit d'abord d'une tentative de comprendre « le théâtre de la vie. » Nijinski impose à l'interprète de réinventer son art, « [ d'être ] la vie. [ D'être ] le théâtre ». « Après [ lui ] il est devenu impossible pour un danseur de considérer son corps comme un simple moyen d'expression » dit le danseur de Buto, Kasaï Akira. Et il en est de même pour l'acteur.

Il s'agit aussi de travailler son absence, de donner à sentir la disparition d'une existence : le moment où sa ligne de vie s'apprête à devenir invisible, comme Lenz à travers la montagne, quand elle s'en va par d'autres chemins, inconnus, aussi illisibles que les routes des hirondelles dans le ciel.

Sans doute la transposition scénique des Cahiers n'est possible qu'à l'état fragmentaire. Et d'un fragment choisi à un autre nous créerons, par associations, rimes, rythmes, d'autres fragments – parlés, dansés... Fragments qui reviendraient sur les terrains de l'enfance et jusqu'aux limbes psychiatriques que ne quittera plus Nijinski. Car ce fut comme si à la fin des Cahiers s'était ouverte une trappe pour l'abstraire de son destin lumineux : son corps flotte dans notre imaginaire, en un saut proche de l'envol quand son esprit danse sur les restes brisés de son être.


Guardamunt 55' (poème et considérations) rassemble 2 fragments du Journal de Nijinski. Un poème écrit en français, qui rappelle les expériences dada menées sur le langage à la même époque, et des considérations, existentielles et cosmologiques, traduites du russe. Le poème “Au Hommes”, principale source de cette pièce, est constitué d'environ 600 vers de 6 à 8 syllabes, de mots ou onomatopées de 1 ou 2 syllabes. Du jeu des rythmes, comme des ritournelles, qui lui confère le caractère enfantin du babil, jaillissent des éclats fulgurants de sens. À travers le témoignage de sa vie et son temps, Nijinski veut donner à sentir plus qu'à comprendre, par-delà la distance qui nous sépare. Le poème est cette distance abolie et vise le cœur des hommes.

À travers le témoignage de sa vie et de ce temps d'après la première guerre mondiale, plus meurtrière que toutes celles qui l'ont précédée, Nijinski s'adresse aux hommes (et femmes), donnant à sentir plutôt qu'à comprendre :

Tu te tu te tu te tu 

Tu tu tu tu tu tu tu

Le duo voix et saxophone constitue la colonne vertébrale de la pièce prolongée par un orchestre de quatre musiciens d'horizons différents - musique improvisée, musique populaire, musique traditionnelle. Des rendez-vous jalonnent l'improvisation tandis que la voix se fraie un chemin dans ce poème écrit à main levée, sans brouillon, dicté par l'esprit de celui qui veut bondir dans le coeur des hommes.

Près d'eux, il y a la présence muette d'un homme plus âgé, comme le creux de cette voix, comme on dit « l'ombre de soi-même », qui saute dans le silence.

Guardamunt 55’ (concert) prolonge l’expérience musicale et vocale menée avec Bénédicte Le Lamer (voix) et FlorentManneveau (saxophone) à partir d’un poème écrit en français par Nijinski. Quatre musiciens les rejoignent et poursuivent cette exploration des confins de la voix parlée et de la musique. 

Une première version de Guardamunt a été présentée en novembre 2006 à l’Espal, scène conventionnée du Mans, à l’issue de résidences à la Fonderie au Mans, ainsi qu’à Ramdam à Sainte-Foy-les-Lyon. Deux nouvelles versions de Guardamunt ont été proposées en avril 2007 : la première version (76’, récits) a été présentée à La Ferme du Buisson à Marne-la-vallée les 13, 14 et 15 avril ; la seconde version (34’, poème) a été présentée à La Ménagerie de Verre à Paris le 20 avril. Ces deux versions ont été présenté au festival DAW de danse à Langonnet (Morbihan).

Guardamunt (poème et considérations) a été créée en juillet 2008 au Festival d'Avignon / La 25ème heure, et enregistrée en public à Paris en mai 2009.

Distribution
de
Vaslav Nijinsky
adaptation
Christian Dumais-Lvowski
conception
Bénédicte Le Lamer & Pascal Kirsch
mise en scène
Pascal Kirsch
avec
Bénédicte Le Lamer, Didier Le Lamer, Florent Manneveau
et les musiciens
Florent Manneveau (saxophone), Maxime Oudry (contrebasse), Clément Robin (accordéon), Francesco Rosa (surdulina), Makoto Sato (batterie)
scénographie
Antoine Petitrenaud
lumière
Clément Chicoisne
mise en musique
Florent Manneveau
vidéo
Pascal Kirsch
costumes
Isabelle Périllat
Production
Production Compagnie pEqUOd, La Fonderie, L’espal scène conventionnée du Mans
avec le soutien de la Ferme du Buisson (résidence chantier), de la DRAC des Pays de la Loire, Conseil Régional des Pays de la Loire,
et le soutien de Naxos-Bobine, Ramdam, la Ménagerie de Verre et le Théâtre Nanterre Amandiers
Extraits & Sources
La presse en parle
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Tournée
2008
du 10 au 12 juillet
Festival d'Avignon, la 25ème Heure
2008
le 21 mai
Lavoir Moderne Parisien
2008
du 13 au 14 mars
Théâtre Paris-Villette
2008
du 27 au 29 janvier
Mains d’œuvres, Saint-Ouen
2008
du 13 au 14 janvier
Rencontres du Court à Bordeaux
2007
du 22 au 24 juin
Festival DAW, Langonnet, Morbihan
2007
le 20 avril
La Ménagerie de Verre, Paris
2007
du 10 au 11 avril
La Ferme du Buisson, Marne-la-Vallée
2006
du 22 au 23 novembre
L'Espal - Le Mans