La Princesse Maleine
de Maurice MAETERLINCK
création juillet 2017
Festival d'Avignon - Cloître des Célestins / Durée : 2h15
© Christophe Raynaud de Lage
"S'anéantir dans l'amour est ce que je sais de plus haut."
Hadewijch d'Anvers

Un château perdu dans des marais, une guerre déclarée au milieu de fiançailles, des amoureux rêveurs et maladroits, tels sont les germes de ce conte cruel jusqu’au grotesque - première pièce de Maeterlinck - dans lequel se joue le combat inexorable de la Princesse Maleine face à l’amour...

Certains oiseaux migrateurs, en plein hiver, s'en vont au Nord plutôt qu’au Sud, certains d’aller dans la bonne direction, et meurent d’épuisement et de froid.
© Elizabeth Carecchio
Présentation

La scène s'ouvre sur les fiançailles de Maleine et du Prince Hjalmar. Des gardes observent le repas de fête : la cour du roi Marcellus - sans fleurs ni couronnes. Noces de glace. Un scandale éclate, la fête tourne mal, les fiançailles sont rompues. Une guerre se prépare entre les deux royaumes. L'amour de la princesse Maleine pour le prince ennemi Hjalmar devient une malédiction qui scelle son destin.

Ce n'est pas grave, c'est féroce.

La gravité, c'est une intériorité sûre d'elle-même, un égo qui souffre tellement il est au centre du monde. Dans La princesse Maleine, Maeterlinck s'élève au-dessus de ce conflit romantique pour nous rappeler à notre férocité que rien n'oblige que notre égoïsme. L'idéalisme de l'amour absolu y est balayé par la réalité de nos aliénations intérieures.

C'est le rêve d'un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.
Voilà le sens que le jeune poète Maurice Maeterlinck donne à l'agitation de nos vies dans sa première pièce , en 1889. Il voit une humanité grotesque qui, comme une nuée d'éphémères autour de la mi-août, vient se brûler les ailes à la lumière des réverbères, fuyant obstinément et peureusement le vide de l'obscurité.

Les hommes sont agités par leurs pulsions et les femmes par une inextinguible obstination. Mais surtout, les uns comme les autres restent sourds et aveugles au destin qui les attend et dont ils portent la responsabilité, qu'ils soient victimes ou bourreaux. Chacun crie, se débat contre des chaînes qui ne viennent pas du ciel.

Certes, le climat mauvais qui entoure Ysselmonde et Harlingen annonce de grands périls pour l'humanité, peut-être l'extinction de l'espèce, mais ce n'est que le reflet de l'inconscience, de l'inconséquence, de cette humanité.

Au dérèglement des climats vient s'ajouter, au fur et à mesure que s'avance le drame, le dérèglement du langage : les phrases se raccourcissent, tous sont gagnés par le bégaiement et un déluge de répétitions semble le symptôme d'une écholalie collective.

C'est qu'ils ne savent pas dire ce qu'ils commencent à deviner : la réalité de leur aliénation intérieure qui les dépasse et qui les perd.

À la fin, il ne reste que la conscience en ruine d'un vieux roi conduit par une nourrice oublieuse de ses petits. Ne serait-ce pas une image qui a la fonction d'une parabole sur notre condition ?

La Princesse Maleine, comme son personnage éponyme, a cette beauté vénéneuse et malade. La beauté d'un combat, à mort, d'amour. Le combat de l'ardent désir d'une jeune femme pour celui qu'elle aime, obstinément. Mais ici, l'amour mène à la mort, l'effroi devient grotesque. C'est épouvantablement drôle, inquiétant mais gracieux.

Maleine est absolument sûre de ce qu’elle veut, de son amour, quoiqu’il lui en coûte : ses parents se font massacrer, et elle continue de s’enfuir vers celui qu’elle aime et qui fait partie de la famille qui a exterminé ses parents. Elle va se jeter ainsi dans la gueule du loup, patiemment mais résolument. C'est une obstination magnifique, une ironie métaphysique, pas du tout cynique. De l’autre côté, la reine Anne, tout aussi obstinée, veut le malheur de Maleine et c’est tout aussi incompréhensible. Maeterlinck ne donne pas d’explication à ces comportements mais chacun peut y reconnaître ses propres obsessions, qui s’apparentent à de la croyance, à de la ferveur. Aujourd’hui, où l’on parle beaucoup de liberté sociale, la question de la liberté intérieure, spirituelle, et la manière de l’exposer de Maeterlinck, semble passionnante, à la fois terrifiante et risible.

La Princesse Maleine, c'est aussi une histoire de famille, le carré : père, belle-mère, fils, belle-fille. La pièce débute avec le repas de fiançailles de Maleine et du jeune Hjalmar. De cette photo de famille, Maeterlinck gratte le verni poli et révèle toute la brutalité des liens, les enjeux, vitaux et mortels, voir meurtriers, que recèle cet instant. Les liens intimes de la famille sont observés non pas sous l'angle du naturalisme mais plutôt à travers les rêves, le sommeil de la raison, qui en font émerger toute l'animalité prédatrice, l'archaïsme sous les conventions sociales. Car le naturalisme chez Maeterlinck, ce n'est pas celui de l'art (singer la réalité) mais celui du savant (qui s'attache à l'histoire naturelle).

Maeterlinck met en jeu « l'espèce en nous » avec des formes de communication, d'entendement, insaisissables au raisonnement mais perceptibles. Nous ne sommes pas plus explicables, pas moins mystérieux, que le monde des insectes, le cycle des étoiles.

Passant la famille à la loupe de l'entomologiste, il nous montre une assemblée d'hommes et de femmes comme un groupe d'insectes sociaux, en-dehors de l'empathie et de la psychologie humaine. Il attire notre attention sur les instincts, les fonctions et l'amoralité de notre espèce. Un déplacement s'opère du politique vers une logique plus primitive.

N'est-ce pas quand on nous dit à la fin des histoires « Ils furent heureux » que la grande inquiétude devrait faire son entrée ? Qu'arrive-t-il tandis qu'ils sont heureux?
Maeterlinck


La princesse Maleine n’est pas écrite dans un seul registre, contrairement à toutes les pièces qui suivront. Maeterlinck mêle ici le vaudeville et le fantastique, le plus sanglant théâtre élisabéthain et le poème symboliste, un sublime chant d'amour qui passe par la lecture des étoiles et des nuages. C'est un matériau hétérogène, non uniforme, d'une diversité réjouissante. Cela exige une grande virtuosité de jeu. C'est un modèle de théâtre et de monde aussi, ce refus de tout étalonner, de tout formater.

Il y a dans La princesse Maleine un contrepied à l’image fantasmée d’un Maeterlinck hiératique. C’est une pièce turbulente, chaotique, qui décrit, avec une forme d’ironie, la condition humaine. Il suffit de regarder le prince qui tourne autour de la chambre de Maleine si interminablement alors que nous savons déjà qu'elle y a été assassinée. Si c’est risible ou ridicule, c’est peut-être parce qu’il faut qu’on l’admette. Personne ne veut l'admettre. C'est pourtant ce que pointe Maeterlinck. Et voilà qui me paraît salutaire, humainement, politiquement.


Distribution
de
Maurice MAETERLINCK
Conception et mise en scène
Pascal Kirsch
Texte de
Maurice Maeterlinck
Avec
Bénédicte Cerutti, Arnaud Chéron, Richard Comte, Cécile Coustillac, Mattias De Gail, Victoire Du Bois, Vincent Guédon, Loïc Le Roux, François Tizon, Florence Valéro, Charles-Henri Wolff
Scénographie et costumes
Marguerite Bordat et Anaïs Heureaux
Scénographie pour la reprise
Christian Tirole et Pascal Kirsch
Collaboration costumes
Charlotte Winter et Gwladys Duthil, assistées de Louise Douet Sinenberg
Lumière Festival d'Avignon
Marie-Christine Soma
Lumière pour la reprise et régie lumière
Nicolas Ameil
Création vidéo
Sophie Laloy
Cadre, étalonnage
Mathieu Kauffmann
Régie vidéo
Julien Reis
Musique
Richard Compte
Régie générale et son
Pierre-Damien Crosson
Régie plateau
Christian Tirole
Conseils chorégraphiques
Cécile Laloy
Production
Production Compagnie Rosebud
Coproduction MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Festival d'Avignon, MC2: Grenoble, La Passerelle — Scène nationale de Saint-Brieuc, Le Parvis — Scène nationale de Tarbes, Équinoxe — Scène nationale de Châteauroux, Centquatre — Paris, Collectif 2 Plus
Avec le soutien de la Drac Île-de-France, la Région Île-de-France, Fonds d'insertion pour les jeunes comédiens de l'école supérieure d'art dramatique de Paris — Pôle supérieur Paris Boulogne-Billancourt, Maison Louis Jouvet — Ensad Languedoc-Roussillon, Arcadi Île-de-France, Spedidam, Adami pour la 71e édition du Festival d'Avignon.
Avec l'aide de La Fabrique des Arts — Théâtre 71 Scène nationale de Malakoff, Théâtre de L’Echangeur — Bagnolet, Théâtre Louis Aragon — Tremblay-en-France, Canal 93 — Bobigny.
Le texte est publié aux éditions Espace Nord.
Remerciements Jean-Pierre Baro, Elisabeth Carecchio, Camilla Saraceni
© Rosebud
Extraits & Sources
© Elizabeth Carecchio / © Cie Rosebud
La presse en parle
« Pointes de tragique et de sarcasme sans cesse se concurrencent. Le jeu souvent paroxystique des comédiens (en particulier des excellents Vincent Guédon et Bénédicte Cerrutti) contribue grandement à faire de cette peinture d'un monde où le malheur coule à flots une tragi-comédie....»
ALLEGRO THÉÂTRE,JOSHKA SCHIDLOW, le 14 octobre 2018
« Ce que le travail de Pascal Kirsch présente au spectateur, c’est ainsi l’écoute de langues étranges parce que théâtrales, de voix que, d’abord, on ne reconnaît pas et qui résonnent à nos oreilles comme un rappel de l’altérité qui hante notre propre parole. À l’écart d’un théâtre qui se complaît dans un lissage de la parole et qui fait de Narcisse son héros, c’est Écho qui est à l’honneur ici... (Ecarts de voix A l’écoute du théâtre de Pascal Kirsch)...»
Théâtre/Public,Chloé Larmet, le 1 juin 2018
« chez Kirsch l’expression vocale ne se limite pas à vouloir redonner le signifié de la parole, mais devient plutôt un « corps musical » apparemment abstrait qui produit d’autres corps plus concrets (comme le corps humain par exemple). De cette manière, dans sa mise en scène la voix devient un geste poétique qui déclenche d’autres gestes également poétiques....»
L'INSENSÉ,Evelise Mendes, le 19 juillet 2017
« La mise en scène parvient à tirer les personnages vers un grotesque sobre, jamais outré. La princesse aux cils blancs, des hommes dans la forêt, un enfant bègue : tous semblent avoir perdu quelque chose. Des personnages de conte, ils ont le mystère et le malaise, celui d’une humanité d’à côté, proche et lointaine, que l’humour, déployé par la mise en scène, interroge : qui sont ces êtres étranges aux sinistres destins, à propos desquels nous rions, pour lesquels nous souffrons ? La gravité de l’issue finale se lit sur leur corps, chez qui rien ne semble fluide. C’est triste et beau....»
I/O gazette,Mariane De Douhet, le 18 juillet 2017
« on oscille entre un rire lié à un jeu quasi fantoche des comédiens et à un décalage entre l’action meurtrière de la reine et sa manière empêtrée d’agir, et un malaise face à cette jeune fille malade que la reine a du mal à étouffer, s’y prenant à plusieurs fois, s’acharnant, malaise lié à un réalisme dérangeant où commettre un meurtre n’est pas si facile et a des conséquences terribles....»
L'Insensé,Jérémie Majorel, le 17 juillet 2017
« Un travail d’une attention rare, construit sur le principe d’une esthétique du tableau (classique et baroque) où les écrans figurent le passage où se croisent tantôt les paysages extérieurs, tantôt les espaces intérieurs (cérébraux) aux prises avec l’imaginaire. Exercice baroque pour rendre un texte fou…...»
L'INSENSÉ,Yannick Butel, le 12 juillet 2017
« Entre drôlerie et rêverie, Pascal Kirsch signe une pièce à l’évidente beauté...»
Vaucluse Matin,, le 11 juillet 2017
« on a l’impression que les acteurs cherchent sans cesse à décoller – ou du moins à entailler – ce vernis symboliste dont on recouvre trop souvent Maeterlinck, à créer un interstice entre ce texte et son élocution, entre cette langue poétique glissante et la mécanique enrayée de leur corps. (...) Mais c’est surtout avec la direction d’acteur proposée par Pascal Kirsch que le vernis Maeterlinck se fissure et laisse apercevoir un drame comique et grave dont les acteurs se jouent. Tout grince et vient éconduire les bons sentiments du spectateur : la déférence face à la beauté de la langue de Maeterlinck est tournée en répétitions entremêlées et saccadées (...)...»
L'INSENSÉ,Chloé Larmet, le 16 juin 2017
« Une promenade sur les sentiers d’une forêt dantesque à revisiter encore et toujours, suivant les méandres et lacets à la fois lumineux et ombreux d’un imaginaire atemporel....»
hottellotheatre,Véronique Hotte, le 15 juin 2017
Tournée
2018
le 11 décembre
La Passerelle scène nationale de Saint-Brieuc
2018
du 26 au 27 novembre
L’Équinoxe scène nationale de Châteauroux
2018
le 13 novembre
Parvis scène nationale Tarbes Pyrénées, Ibos
2018
du 12 au 20 octobre
Maison de la Culture de Seine-Saint Denis
2017
du 9 au 15 juillet
Festival d’Avignon CREATION