TERRAIN VAGUE
de Florence Valéro
création janvier 2024
Spectacle itinérant à partir de 12 ans / Durée : 75 mn
Suite à la démolition des tours du quartier où il a grandi, Medhi reprend contact avec son amie Mariette. Ensemble, ils font revivre le terrain vague de leur enfance...

TERRAIN VAGUE est une forme tout-terrain pour transmettre l'histoire d'un quartier de banlieue disparu, d'une amitié retrouvée, de deux enfants devenus grands e s qui redonnent vie à ce qui n'est plus... Avant, on prenait des photos "pour l'éternité", pour témoigner que quelque chose, quelqu'un, avait existé. Écrire, ça peut être pareil : quelque chose disparaît, mais continue de vivre par l'écriture, renaît, dans l'écriture.

Un terrain vague, c'est comme l'herbe entre les pavés. C'est le sauvage et l'indiscipline dans le paysage urbain. C'est encore indéterminé, en suspens : ça ne sert à rien pour le moment. C'est tout ce qui manque encore, c'est l'espace entre : les genres, les gens, les habitations. C'est l'endroit où on se retrouve, enfant, où on se mélange et vit plein de premières fois.
Présentation

Medhi est un jeune journaliste radio qui a grandi dans les tours d'un quartier populaire. Il est envoyé pour couvrir la disparition de son quartier d'enfance, aujourd'hui remplacé par une cité nouvelle, plus confortable et moins précaire. Parler de cet endroit au passé lui rappelle Mariette, une amie qui vivait dans la cité pavillonnaire voisine des tours. Une amitié que la distance a défait lorsque Mariette a bougé à la fin de l'école primaire. Medhi reprend contact et, pour lui, Mariette ravive sa mémoire des années de leur amitié. C’est tout un monde enfoui qui s’éveille, et d’abord, le terrain vague qui sépare les tours des pavillons. Le territoire où les enfants se retrouvent, où l'amitié dépasse les préjugés sociaux et ethniques, malgré les interdictions des adultes et les barrières invisibles instituées par l'architecture du quartier. A travers les souvenirs de Medhi et Mariette, TERRAIN VAGUE nous amène à questionner nos lieux de vie et les frontières imaginaires qui mettent à distance ses habitants. Dans une langue poétique et simple, Florence Valéro fait apparaître le sens de la mixité et de la rencontre comme moyens de changer sa trajectoire de vie.

Je n’ai pas oublié. Bien sûr que non. Et je comprends ce que ça fait la disparition d’un bâtiment qui est pour nous, quoi qu’il en soit et au fil des ans, le premier repère. L’ami fidèle. Surtout quand on l’a toujours côtoyé, quand on y a toujours habité.

TERRAIN VAGUE de Florence Valéro est au départ un récit épistolaire entre deux amis d'enfance que la vie, le déménagement de l'une, Mariette, a séparé de l'autre, Medhi. Les deux adultes ne se sont pas vus depuis l'enfance. C'est Medhi qui reprend contact : il est devenu pigiste du journal local et vient d'écrire une chronique sur la disparition du quartier où naissait leur amitié. Il lui envoie l'article, comme une bouteille à la mer. Mariette répond, se souvient et, à la demande de Medhi, parcourt ses souvenirs en un récit. Ce morceau d'enfance a pour décor une cité pavillonnaire pour la classe moyenne blanche d'une ville elle-même moyenne construite près des tours habitées par la classe ouvrière issue de l'immigration. La frontière entre ces deux mondes bien distincts est un terrain vague, un vide que ce sont appropriés les enfants, et puis l'école. Mariette fait revivre ces lieux, sa vie de famille, l'amitié naissante, peut-être amoureuse, entre les deux enfants, par touches, par fragments. Et un monde disparu se recompose, se dessine : carte tendre et violente à la fois de vies ordinaires, de "ceux qui ne sont rien" diraient certains. L'écriture, belle et franche, de Florence Valéro, appelle le théâtre, l'oralité, le jeu. Terrain Vague est construit comme une suite de courts récits pour chacun desquels une forme théâtrale reste à inventer, pour les transmettre, les faire sentir, les reconnaître. Chaque récit, comme les poupées russes, comme les contes de mille et une nuits, propose un éclat d'enfance. Et le miroitement de l'ensemble trace le portrait d'une époque dont nous venons mais également d'une société fissurée, déliée, qui tente comme elle peut de tenir, de se maintenir. Et si les temps ont changé, ce sont radicalisés, aggravés, revenir "là-bas" c'est saisir combien la césure est profonde et déjà ancienne. Mais la gravité ici est toujours adoucie par le regard pétillant des enfants. Si la réalité n'est "pas rose", les enfants par leurs jeux, avec leur élan de vie, leur langue, enchante et relie les mondes des pavillons et des tours. 

Pascal Kirsch


Qu’est-ce qui fait qu’on n’est pas si différent ? 

Cette question, je me la suis posée très tôt. D’abord, parce que je me sentais autant fille que garçon dans mon corps d’enfant, ensuite, parce que j’ai grandi dans un quartier pavillonnaire qui faisait face à des tours et barres HLM accueillant exclusivement des « gens de couleurs ». Déjà petite, je ne comprenais pas bien, pourquoi nous « les blancs », devions-nous nous méfier de ces habitants métissés : venus du Maghreb, d’Afrique noire, de pays asiatiques, ces enfants d’immigrés… que nous côtoyions pourtant à l’école, en sport. Mais lorsqu’il s’agissait de marquer le territoire de l’habitat, d’affirmer une appartenance sociale et de veiller à la sécurité des uns et des autres, ces « gens-là » semblaient dangereux, parce que différents de nous, en apparence, en religion, en culture – autant de cases à ajouter pour marquer le fossé qui nous séparait d’eux. Ce fossé, on pouvait physiquement, spatialement le voir entre nos habitations : il s’agissait d’un terrain vague, s’étalant entre les pavillons et les tours, les dissociant comme deux équipes de foot prêtes à disputer un match. Parfois sur ce terrain, une aire de jeux s’inventait entre les enfants des blancs et les enfants des gens de couleurs. Ou bien, une fête tout d’un coup organisée par l’école, chacun déguisé pour carnaval. Il y en a un, de carnaval, qui a particulièrement imprimé le caméscope de mon père et la VHS que j’ai réussie à sauvegarder ensuite. Sur ces images datant d’avril 1992, un long moment est dédié au défilé de tous les enfants confondus du quartier. Toutes les classes d’une école maternelle, en procession, défilant entre les barres de béton, endroit initialement craint par la population blanche. Il y a soudain ce jaillissement de zébrures, ces sauts d’images que donne la VHS : les couleurs, les voitures de l’époque, les habits des parents, qui créent à la fois cette richesse et cette tension due à « la différence ». Mais par concession à la fête, au moment, on donne la main aux enfants, on oublie qu’on se mélange, et les enfants ne sont plus entre eux que des personnages ; arlequin, pierrot, charlot, prince, princesse, super-héros, animal de dessin-animé… Un outre-passage identitaire, un tour de passe-passe d’un « Qui suis-je ? » au service d’une célébration, d’un « être ensemble » ; ça, ce quotidien de divisions, de méfiances, puis soudain ce moment où tous ces éclats d’individualités se massent dans ce paysage urbain, où même les tensions familiales connues dans l’intimité des maisons se tait, tout ça, le ressentir fort à l’âge de 5 ans… L’envie un jour d’en témoigner pour questionner la place que l’on nous assigne, les frontières qu’elle implique, peut-être ses dépassements : Qui suis-je parmi les autres ? Est-ce que je ne peux pas être tous les autres ? 4C’est ce qui m’a longtemps habité petite et adolescente, m’a autant poussé vers des conquêtes que paralysée dans ma chambre. Être tout et personne à la fois. Peut-être parce que ces premières années à me heurter brutalement aux questions identitaires a sans cesse fait revenir « la différence » comme une butée plutôt que comme une histoire commune à comprendre. Sans effacer ce qui nous enrichit par elle, je veux d’abord voir, questionner ce qui nous réunit en elle, ce qui fait que « la différence » nous fait nous ressembler, en revenant justement à ces premiers épisodes de métissages dans le quartier de mon enfance… 

Les prises de positions des adultes pouvaient parfois créer des tensions, parvenir à nos oreilles et questionner nos relations. « Toi ne vas pas trop par là-bas ». « Méfie-toi de cette bande ». « Ferme bien parce que sinon… ». Sinon ? Sinon il y a tout de même quelques adultes qui ont préféré aller vers « l’étranger », ménageant des saillis dans leurs préjugés. Ça aussi, les enfants ont retenu. Deuxième texte théâtral que j’écris après Attraction (fiction basée sur le drame de Tchernobyl), Terrain Vague puise dans une histoire personnelle pour aller à la rencontre de l’Autre, peu importe le genre, la couleur de peau, l’appartenance sociale. Pour que chaque fossé ressenti soit plutôt un creuset qui nous réunit : dans nos désirs, nos peurs, nos rancunes, nos joies, notre façon d’accueillir le monde, nos ramifications généalogiques. Car il y aussi les déplacements forcés de l’Histoire qui nous font réaliser… qu’on vient du même endroit. Deux personnages dans le texte feront d’ailleurs cette expérience. 


Pourquoi revenir dans les années 90 ? 

Pourquoi ne pas évoquer cette question de la différence aujourd’hui, quand elle explose de mille feux, tantôt complètement acceptée, tantôt violemment rejetée selon les situations, les territoires, l’éducation reçue ? Au-delà d’un vécu, je voulais aussi montrer que le temps la remet sans cesse en jeu. On a beau dire que le métissage est une richesse, particulièrement quand l’équipe de France de football remporte un tournoi mondial, en réalité, ce n’est pas systématique. L’état des banlieues actuelles fragilise, toujours davantage, les populations métissées. Je m’en rends compte depuis plusieurs années, donnant des ateliers théâtre et radio dans le 93 et le 95 à des adolescents et des enfants. Les politiques d’intégrations comblent difficilement leur 5misère sociale et diminuent peu des réflexes de survis qui deviennent dramatiques en grandissant. Ils sont alors exposés à l’isolement et au rejet. Il y a cependant des îlots rassembleurs, comme le sport, le théâtre, l’école... Ces quelques moments me font croire qu’il faut continuer, par le biais d’une curiosité humaine et artistique, d’aller à la rencontre de ce qui semble loin de nous. Et pour cela, voyager aussi dans le temps. Voilà pourquoi il y a trois ans, j’ai eu la nécessité d’écrire cette histoire en me replongeant dans ces années-là, en y ajoutant aussi beaucoup d’imaginaire pour ré-investir l’espace du « terrain vague ». L’espace qui, comme sur le costume d’arlequin, met bout à bout les morceaux de tout le monde pour occuper aujourd’hui la scène d’un théâtre dans une sorte de série en plusieurs petits épisodes. 

La voici cette série, qui relie les années 2000 aux années 1990. Elle part d’un véritable article du Sud-Ouest écrit en juillet 2012. Elle part de mes souvenirs et pour le reste… Elle part d’un personnage imaginaire, Medhi, proche de la trentaine. 

Été 2012, Medhi couvre un reportage pour le moins saisissant : les tours de son enfance ont été démolies, ne subsistent que les pavillons des blancs. Il repense alors à Mariette, cette amie qu’il a perdue de vue depuis si longtemps. Pourquoi ne pas la recontacter ? De là se tisse une correspondance entre Medhi et Mariette, Medhi exhortant Mariette à se rappeler, à lui raconter, comme pour reconstruire ce qui a été démoli. On retourne alors en 1992 à travers leurs échanges. Les aventures et mésaventures de ce quartier sont revisitées, rythmées par les traversées d’un terrain vague où des personnages haut en couleur surgissent ; une vieille qui n’en est peut-être pas une, une cinquantenaire pied-noir raciste jusqu’au bout des ongles, des parents déserteurs, une petite sœur muette et casse-cou amoureuse d’un camarade asiatique, un film culte qui réconcilie la soul et le chant lyrique... Chaque personnage et ce qui lui arrive est toujours l’occasion de faire vibrer la corde sensible des peurs et des préjugés, de chahuter des croyances bien enracinées. D’arriver à ce constat : qu’on n’est pas si différent. Ce sont les histoires que l’on partage, qui nous le disent. C’est pourquoi l’aspect conte, narré de l’ensemble, a une importance dans la forme donnée à cette pièce.

Florence Valéro

Distribution
de
Florence Valéro
Mise en scène
Pascal Kirsch
Avec
Florence Valéro, Mohamed Bouadla et Clément Séclin
Musique
Florent Hermet
Régie générale
Clément Séclin
Montage vidéo
Sophie Laloy
Regard costumes et scénographie
Virginie Gervaise
Toile
Catherine Alvès
Administration de production
Réjane Michel
Production
Compagnie Rosebud / Coproduction Les Plateaux Sauvages avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages / Avec le soutien de Toit et Joie – Poste Habitat et de la Spedidam
Extraits & Sources
Pauline Le Goff et Réjane Michel
La presse en parle
« Ces histoires brèves assemblées, simples et délicates comme les souvenirs des enfances heureuses, contées avec vivacité et complicité, un humour rieur et chaleureux, offrent un sentiment tendre et fraternel....»
hottellotheatre,Louis Juzot, le 29 janvier 2024
« Terrain Vague, c’est un peu de sociologie et beaucoup de tendresse. (...) On a tous au fond du cœur un enfant qui courrait sans comprendre les peurs des adultes, sans vraiment savoir qu’il courrait vers son amour d’enfance. La force de Florence Valéro, c’est de le faire revivre pour un instant....»
blog jenaiquunevie.com,Guillaume d'AZEMAR de FABREGUES, le 28 janvier 2024
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